Imaginez un cocon de fibre de verre, pivotant à 360 degrés, tapissé de cuir moelleux. Un trône futuriste tout droit sorti d’un vaisseau spatial. C’est exactement ce qu’a créé Joe Colombo en 1963 avec son légendaire fauteuil Elda.
Le fauteuil Elda de Joe Colombo : icône spatiale du design des années 60
Plus de six décennies après sa création, ce fauteuil continue de fasciner. On l’aperçoit dans James Bond, Space 1999 ou Hunger Games. Il trône dans les plus grands musées du monde. Et il se négocie à prix d’or chez les collectionneurs. Mais qu’est-ce qui rend ce siège si exceptionnel ? Hart Design Selection vous raconte l’histoire extraordinaire de cette icône du design du XXe siècle.
Joe Colombo : le génie parti trop tôt
Cesare « Joe » Colombo naît à Milan le 30 juillet 1930 dans une famille d’industriels. Son père Giuseppe possède une manufacture de conducteurs électriques, un environnement qui éveille très tôt chez lui une fascination pour les matériaux et les processus de fabrication.
Mais le jeune Joe se passionne d’abord pour l’art. Il étudie la peinture et la sculpture à l’Accademia di Belle Arti di Brera à Milan jusqu’en 1949. En 1951, il rejoint le Movimento Nucleare, mouvement artistique d’avant-garde qui explore les formes organiques et exprime la fascination pour l’énergie atomique – très années 60 dans l’esprit ! Ses œuvres abstraites sont exposées à Milan, Turin, Venise et Bruxelles.
En 1953, changement de cap : il s’inscrit à la faculté d’architecture du Politecnico di Milano. Diplômé en 1954, il n’achèvera pas complètement ses études mais peu importe – son génie créatif n’a pas besoin de diplômes pour s’exprimer.
Le tournant arrive en 1959, à la mort de son père. Joe reprend l’entreprise familiale et commence à expérimenter de nouveaux matériaux. Cette expérience industrielle influence profondément son passage de la peinture au design. En 1962, il ouvre son propre studio de design à Milan.
Commence alors une décennie fulgurante. En seulement neuf ans, jusqu’à sa mort prématurée d’une crise cardiaque le 30 juillet 1971 (le jour de ses 41 ans), Joe Colombo va créer certaines des pièces les plus innovantes du design des années 60 :
- La lampe Acrilica (1962)
- Le fauteuil Elda (1963)
- La chaise Universale (1965) – première chaise en plastique moulé d’une seule pièce pour adultes
- Le chariot Boby (1970)
Ses réalisations lui vaudront le Compasso d’Oro en 1967 et 1970, et le Design International Award à Chicago en 1968. Un palmarès impressionnant pour une carrière si brève.
La genèse de l’Elda : quand les chantiers navals inspirent le design
L’histoire du fauteuil Elda commence dans un endroit inattendu : un chantier naval. Lors d’une visite, Joe Colombo observe les coques de bateaux et a une intuition géniale : pourquoi ne pas transposer cette technologie au mobilier ?
L’idée est révolutionnaire pour l’époque. Créer une structure autoportante en fibre de verre renforcée de polyester, matériau alors émergent dans le monde du design mais déjà éprouvé dans l’industrie nautique et aéronautique. Colombo imagine une coque asymétrique monumentale, un véritable cocon enveloppant qui rompt radicalement avec les codes du siège traditionnel.
Le coup de génie ? Cette coquille pivote à 360 degrés sur une base circulaire, offrant une liberté de mouvement totalement inédite. Vous pouvez tourner vers la télé, vers la fenêtre, vers vos invités, sans jamais quitter votre trône confortable.
Le fauteuil est baptisé Elda en hommage à Elda Boiocchi, l’épouse que Joe Colombo avait épousée en 1959 et qui fut sa compagne créative tout au long de sa carrière. Un bel hommage romantique pour un fauteuil futuriste !
Dessiné en 1963, l’Elda commence à être édité en 1965 par la manufacture italienne Comfort, puis sera repris par Longhi. C’est le premier fauteuil à utiliser de grandes surfaces de fibre de verre renforcée, marquant une rupture fondamentale dans l’histoire du mobilier.
Les dimensions sont généreuses : environ 93-96 cm de hauteur, 95-100 cm de largeur et 90-98 cm de profondeur selon les versions. C’est un véritable trône spatial qui impose sa présence sculpturale dans n’importe quel espace.
Anatomie d’une icône : de quoi est fait l’Elda ?
En tant que tapissier professionnel et journaliste spécialisée, je peux vous expliquer précisément ce qui compose ce fauteuil légendaire. Et croyez-moi, c’est fascinant !
La coque : une prouesse de fibre de verre
La structure principale est une coque monobloc en fibre de verre renforcée de polyester, moulée selon des techniques empruntées à l’industrie navale. Cette coquille autoportante d’une robustesse inébranlable ne nécessite aucune structure interne – elle tient toute seule !
Le processus de fabrication, entièrement artisanal pour les premières éditions, exige l’utilisation de moules spécifiques et une maîtrise parfaite des temps de polymérisation. La fibre de verre est stratifiée en plusieurs couches successives, créant une résistance exceptionnelle tout en conservant une relative légèreté (compte tenu des dimensions).
La coque était initialement disponible en blanc ou noir, finitions qui révélaient la pureté formelle du design. Les versions contemporaines proposent également des finitions métallisées en bronze, gris ou bleu.
Les coussins : confort anatomique et cuir noble
L’intérieur de cette coquille accueille sept à huit coussins mobiles rembourrés de mousse de polyuréthane d’épaisseurs variables, anatomiquement conçus pour épouser les formes du corps. C’est là que réside tout le confort de l’Elda.
Ces coussins sont recouverts de cuir pleine fleur de haute qualité – et quand je dis haute qualité, je pèse mes mots. Le cuir utilisé est épais, souple, magnifiquement patiné avec le temps. Il se clipse sur la structure grâce à un système ingénieux qui permet de les retirer et de les réagencer selon vos préférences.
Les coloris disponibles : noir, blanc, cognac, camel, rouge… Cette alliance entre matériau industriel futuriste (la fibre de verre) et matière noble traditionnelle (le cuir) incarne parfaitement la philosophie de Colombo : utiliser la technologie au service du confort humain.
La base pivotante : liberté de mouvement
La base circulaire, également en fibre de verre, permet une rotation complète à 360 degrés. Le mécanisme, robuste et fluide, transforme l’acte de s’asseoir en une expérience dynamique et interactive. Soixante ans plus tard, ce système fonctionne encore parfaitement sur les modèles bien entretenus.
Un cocon pour l’ère de la communication
Joe Colombo ne concevait pas le mobilier comme de simples objets fonctionnels mais comme des éléments intégrés à un mode de vie en pleine mutation. Visionnaire, il pressentait l’impact croissant de la technologie sur la société durant les années 70.
Le fauteuil Elda incarne parfaitement cette philosophie : c’est un trône pour l’ère de la télévision, du téléphone et des nouveaux médias. Son assise enveloppante crée un véritable cocon intime, un espace de repli personnel au sein du foyer.
La hauteur d’assise (environ 42-45 cm) et l’inclinaison étudiée du dossier offrent un confort optimal pour de longues périodes. Les accoudoirs larges et rembourrés peuvent accueillir boissons, livres ou télécommandes, transformant le fauteuil en véritable centre de commandement domestique.
La rotation à 360 degrés n’est pas un gadget : elle permet de s’orienter librement vers différents points d’intérêt sans quitter le confort de son siège. L’enveloppement latéral de la coque crée même une isolation acoustique partielle, permettant de se retrancher du bruit ambiant.
Le fauteuil Elda est bien plus qu’un siège : c’est un micro-habitat, une cellule autonome préfigurant les « living systems » modulaires que Colombo développera par la suite.
Quand l’Elda devient star de cinéma
L’esthétique résolument futuriste du fauteuil Elda en a fait une star récurrente du grand et du petit écran. Sa silhouette immédiatement reconnaissable et son aura Space Age en font le choix idéal des directeurs artistiques cherchant à signifier le luxe futuriste.
Space 1999 (1975-1977) : La série culte britannique de science-fiction se déroulant sur une base lunaire utilise l’Elda pour meubler les quartiers des personnages principaux. Le fauteuil renforce la crédibilité de cet univers spatial.
L’espion qui m’aimait (1977) : Dans ce James Bond avec Roger Moore, le fauteuil Elda trône dans les repaires futuristes, incarnant le luxe technologique de l’univers 007.
Hunger Games (2012) : Plus récemment, l’Elda fait une apparition remarquée dans la franchise dystopique. Le design rétro-futuriste du fauteuil s’intègre parfaitement à l’esthétique décadente du Capitole.
Ces apparitions cinématographiques ont considérablement renforcé le statut iconique du fauteuil, le transformant en symbole culturel dépassant largement le cercle des amateurs de design. Chaque nouvelle génération découvre l’Elda à travers ces films, assurant sa pérennité dans l’imaginaire collectif.
L’Elda dans les plus grands musées du monde
Le fauteuil Elda figure dans les collections permanentes des plus prestigieuses institutions muséales internationales – reconnaissance ultime de son importance historique et de sa valeur artistique :
- Museum of Modern Art (MoMA) de New York
- Centre Pompidou à Paris
- Musée des Arts Décoratifs du Louvre
- Victoria & Albert Museum de Londres
- Design Museum de Londres
- Vitra Design Museum en Allemagne
Des expositions rétrospectives majeures ont célébré l’œuvre de Joe Colombo : en 1984 au Musée d’Art Moderne de Villeneuve-d’Ascq, en 2005 à la Triennale de Milan avec « Joe Colombo : Inventing the Future », et en 2007 au Musée des Arts Décoratifs de Paris.
Combien vaut un fauteuil Elda ? Guide des prix et de l’investissement
Sur le marché du design, le fauteuil Elda occupe une place de choix. Voici un guide complet des prix selon les différentes versions :
Éditions originales (1965-1973)
Les éditions originales produites par Comfort, particulièrement les premières avec patine d’époque et cuir d’origine, atteignent les prix les plus élevés :
- Ventes aux enchères (Sotheby’s, Christie’s, Artcurial) : 2 000 à 5 000 euros selon l’état
- Galeries spécialisées : 5 000 à 8 000 euros pour des pièces authentiques en bon état
- Exemplaires exceptionnels : jusqu’à 10 000 euros pour des pièces parfaitement préservées avec provenance documentée
Rééditions contemporaines Longhi
Les rééditions actuelles produites par Longhi sont commercialisées neuves entre 10 000 et 15 000 euros selon les finitions choisies (couleur de coque, qualité et couleur du cuir).
Édition limitée 60e anniversaire (2023)
Une édition spéciale avec coque et cuir dorés a été produite à seulement 20 exemplaires dans le monde, proposée au prix de 11 900 euros l’unité. Destinée à devenir une pièce de collection majeure.
Critères déterminant la valeur
- Authenticité et présence de la plaque de l’éditeur
- État de la coque en fibre de verre (fissures, restaurations)
- État du cuir (craquelures, déchirures, usure)
- Complétude des coussins originaux
- Fonctionnalité du mécanisme de rotation
- Provenance documentée
Les versions les plus prisées : coque blanche avec cuir noir ou cognac, considérées comme les plus iconiques.
Mon avis de tapissier : vaut-il le coup de restaurer un Elda vintage ?
En tant que tapissier professionnel, on me pose souvent cette question. Ma réponse ? Absolument oui ! Mais à certaines conditions.
Quand la restauration vaut le coup
Si la coque est saine, c’est-à-dire sans fissures majeures, sans restaurations grossières visibles, et que le mécanisme de rotation fonctionne encore correctement, alors oui, ça vaut vraiment le coup de restaurer le cuir et les coussins.
Pourquoi ? Parce que la coque en fibre de verre est quasiment indestructible si elle n’a pas été maltraitée. C’est le gros avantage de ce matériau. Contrairement aux mousses qui se dégradent avec le temps (comme je vous l’expliquais pour le fauteuil UP de Pesce), la fibre de verre traverse les décennies sans broncher.
Le coût de la restauration
Pour une restauration complète de qualité, comptez :
- Nettoyage et réparation de la coque : 300-500 euros
- Remplacement de tous les coussins (mousse + cuir pleine fleur) : 2 000-3 500 euros selon le cuir choisi
- Révision du mécanisme pivotant : 200-300 euros
Total : 2 500 à 4 300 euros de restauration. Si vous avez acheté un Elda vintage à 2 000-3 000 euros en mauvais état, vous arrivez à un total de 4 500 à 7 300 euros. C’est toujours moins cher qu’un neuf à 10 000-15 000 euros, et vous avez une pièce authentique !
Le piège à éviter
Attention aux coques fissurées ! Une fissure dans la fibre de verre est très difficile et coûteuse à réparer correctement. Si vous trouvez un Elda avec une coque abîmée, passez votre chemin ou négociez très fortement le prix.
Également, méfiez-vous des restaurations « maison » avec du cuir bas de gamme ou des mousses inadaptées. Un Elda mal restauré perd énormément de valeur.
Où acheter un fauteuil Elda aujourd’hui ?
Pour un modèle neuf
Longhi (fabricant officiel) : Contactez directement Longhi ou leurs revendeurs agréés pour commander une pièce neuve avec les finitions de votre choix.
Revendeurs de design haut de gamme : Les grandes enseignes de mobilier design italien peuvent commander l’Elda pour vous (Cassina Store, B&B Italia, etc.).
Pour un modèle vintage
Maisons de ventes aux enchères :
- Artcurial (Paris)
- Christie’s
- Sotheby’s
- Tajan
Galeries spécialisées en design vintage :
- Galerie Downtown (Paris)
- Galerie Pascal Cuisinier (Paris)
- Galerie 54 (Paris)
- Ou consultez les galeries de votre région spécialisées en design du XXe siècle
Plateformes en ligne spécialisées :
- 1stDibs
- Pamono
- Selency (pour de bonnes affaires occasionnelles)
- eBay (mais attention aux contrefaçons)
Conseil de pro : Demandez toujours des photos détaillées de la plaque d’éditeur sous le fauteuil, et de l’état de la coque vue de près. N’hésitez pas à demander une vidéo du mécanisme de rotation en action.
L’héritage de l’Elda : quand le design devient intemporel
Le fauteuil Elda s’inscrit dans un moment charnière de l’histoire du design où l’optimisme technologique de l’après-guerre et la conquête spatiale inspiraient une nouvelle esthétique. Aux côtés d’autres icônes comme le Globe Chair d’Eero Aarnio (1963), le Djinn d’Olivier Mourgue (1965) ou la Ball Chair également d’Aarnio (1963), l’Elda définit les codes du style Space Age : formes organiques sculpturales, utilisation de matériaux synthétiques innovants, couleurs vives ou contrastes noir et blanc, et une vision optimiste du futur domestique.
Mais l’Elda va au-delà d’un simple exercice de style : il matérialise la philosophie globale de Joe Colombo sur l’habitat. Le designer milanais ne pensait pas en termes de meubles isolés mais en systèmes intégrés, modulaires et adaptables. Le fauteuil Elda, avec son autonomie structurelle, sa mobilité rotative et son confort enveloppant, préfigure les cellules d’habitation que Colombo développera : le Cabriolet Bed (1969), le Rotoliving (1969), le Total Furnishing Unit (1971).
Cette approche systémique, cette volonté de concevoir des environnements complets plutôt que des objets séparés, influencera profondément le design italien et international. L’héritage de l’Elda se lit dans de nombreuses créations contemporaines qui continuent d’explorer le concept du siège-cocon, du fauteuil enveloppant qui crée un micro-environnement au sein de l’habitat.
Le fauteuil Elda symbolise également un moment où le design italien dominait la scène internationale, période bénie où créativité, savoir-faire artisanal et innovation industrielle se conjuguaient pour produire des objets d’une qualité et d’une originalité exceptionnelles.
Aujourd’hui encore, plus de soixante ans après sa création, l’Elda continue de fasciner par sa modernité intemporelle, preuve qu’un grand design transcende les modes passagères pour s’inscrire dans la durée. Le fauteuil Elda n’est pas seulement un siège : c’est un manifeste sculptural, un trône spatial, une capsule temporelle qui capture l’esprit visionnaire d’une époque tout en demeurant étonnamment contemporain.
Il incarne le génie d’un designer disparu trop tôt mais dont l’héritage continue d’enrichir notre environnement quotidien et d’inspirer les créateurs d’aujourd’hui et de demain. Un chef-d’œuvre qui prouve que le véritable design ne vieillit jamais.

Entrepreneur digital et artisan d’art, je mets à profit mon parcours atypique pour partager ma vision du design de luxe et de la décoration d’intérieur, enrichie par l’artisanat, l’histoire et la création contemporaine. Depuis 2012, je travaille quotidiennement dans mon atelier au bord du lac d’Annecy, créant des intérieurs sur mesure pour des décorateurs exigeants et des clients privés.
